Pour le documentaire...

lundi 28 novembre 2005.
 

Regarder la réalité, ce n’est pas forcément la voir. Vieux dicton grec.

Ma crainte, c’est que les Palestiniens deviennent un “thème”. Mahmoud Darwich, interviewé par Edward Said.

Soumise au casting du MIP/TV l’Amérique Latine s’éloigne de nous. Enfants de la rue (nous sommes riches, voyez leur enfer), musiciens caraibes (nous sommes coincés, voyez comme ils dansent), indiens héroïques (nous sommes des salauds, voyez leur pureté), généraux putschistes (nous sommes stables, voyez leur sang chaud). Images en circuit fermé, à l’usage d’un Occident qui n’a guère bougé, des Sauvages des Indes Galantes de Rameau aux picaros découverts par Tintin et Milou. Eviter les risques de l’identification citoyenne passe par le marché de la différence et de l’humanitaire. Un processus révolutionnaire qui débouche lentement sur la construction collective d’un Etat par des millions de citoyens, sera réputé non sexy et dogmatique. Hors marché donc, sauf à se couler dans les catégories du human interest, des human rights ou de nos chers “marqueurs” (Mère Téresa, Arafat, Castro, Lula, Chavez, etc..) dont la silhouette écrasera la dimension collective du travail et du temps.

JPEG - 31.3 ko
Bureau de Blanca Eekhout à Vive TV

La détresse croissante des réalisateurs de documentaires, victimes de l’emprise du marché télévisuel et dont la liberté se réduit á créer des images thématiques du monde, nous rappelle le mot prononcé un soir, il y a douze ans à Bruxelles, par Robert Kramer : “il faut toujours dire non”.

“Il faut, disait Alejo Carpentier, deux ans au moins pour connaître un pays”. Au bout de quelques années, le Venezuela cesse d’être exotique. Les palmiers me sont aussi familiers que les peupliers, les rues de Caracas aussi banales que celles de Bruxelles. C’est le moment où les mouvements d’une Histoire viennent crever la surface. Esclaves noirs, indiens sans terres, les citoyens aux pieds nus qui traversèrent les Andes au dix-neuvième siècle, entraînés par Simon Bolívar, formaient une armée d’invisibles qui fuyaient les chaînes des plantations. Alors que l’Europe révolutionnaire régressait et restaurait ses monarques, les vénézuéliens fondaient - de Caracas à Lima - une vaste République des Egaux, indépendante de l’empire espagnol. Qui sont aujourd’hui ces citoyens ? Quels sont leurs doutes, leurs difficultés, leurs rêves ? Quelles Andes se dressent face à eux ? Quelle république s’ouvre au-delà ? Comment devenir libres ? Et quelle forme décrira leur marche sans fin ?

Texte introductif de Thierry Deronne pour son projet de film documentaire "Le Passage des Andes"

Signatures: 0
Date Nom Message